Forum pour la Gauche Communiste Internationaliste
Nous reproduisons, ci-dessous, un texte d’un membre américain du groupe ’Perspective Internationaliste’, paru sur leur site en anglais ainsi que dans la dernière parution de leur revue Perspective Internationaliste n°57. La réflexion de ce texte s’articule autour du bien fondé de la théorie de la communisation dans cette époque spécifique du cycle d’accumulation du capital. Si nous republions ce texte, c’est parce qu’il marque une étape importante dans l’évolution d’un des groupes actuels au sein de la Gauche Communiste et que nous voulions en informer nos lecteurs.
Une théorie de la forme-valeur en tant que base pour la compréhension de la logique du capital, de sa trajectoire historique, et de ses contradictions, est intégralement liée à une théorie de la communisation. La communisation est inséparable de l’abolition de la forme valeur et du capital comme valeur valorisante, et son Akkumulationszwang, sa compulsion à accumuler, ainsi que du travail (Arbeit-labor) [1] dont dépend le capital. La communisation implique l’abolition du prolétariat, la classe des salariés, des travailleurs, dont le travail abstrait est la source de la valeur. Le socialisme ou le communisme n’est pas l’auto affirmation du prolétariat ou du pouvoir des travailleurs, et la création d’une république du travail. Le développement de la théorie de la forme-valeur, largement basée sur la publication des manuscrits que Marx avait assemblés pour sa critique de l’économie politique, une entreprise qui n’a été achevée qu’au cours des dernières décennies, a également transformé la compréhension du socialisme ou du communisme qui existait dans la IIe et la IIIe Internationale, ainsi que dans la gauche historique communiste (à la fois la gauche germano-hollandaise, la gauche italienne, le communiste du conseil et les traditions bordiguistes).
Le jeune Marx avait déjà anticipé l’abolition du travail (labor) dans le communisme dès 1844, dans ses manuscrits parisiens, et dans son analyse de l’aliénation du travail, une vision qui était peut-être plus clairement exprimée dans sa critique de 1845 de l’économiste politique allemand, Friedrich List : « C’est l’un des plus grands malentendus que de parler de travail libre, humain, de travail social, de travail sans propriété privée. Le ’travail’, par sa nature même, n’est pas libre, est inhumain, une activité antisociale, déterminée par la propriété privée et la création de la propriété privée. D’où l’abolition de la propriété privée ne deviendra réalité que si elle est conçue comme l’abolition du ’travail’ (une abolition, qui bien sûr, n’est devenue possible qu’en tant que résultat du travail lui-même... » [2]
La concrétisation du chemin de Marx vers une théorie de la communisation dans laquelle la valeur, le travail (labor), et le prolétariat sont abolis peuvent être trouvé dans la Critique du programme de Gotha (1875) dans laquelle les bases théoriques pour la formation d’un système unifié de Parti Social-Démocrate en Allemagne, basé sur une vision d’un ’état libre’, ont été soumises à une critique cinglante, et dans laquelle Marx a d’abord esquissé sa conception d’un stade inférieur et supérieur du communisme. Pour Marx, dans le stade inférieur du communisme « tel qu’il émerge de la société capitaliste, toujours marqué par ses structures et les formes sociales, le producteur individuel reçoit de la société … exactement ce qu’il lui a donné » [3]. En bref, le travailleur, après les déductions pour les fonds sociaux et l’expansion des forces productives, reçoit la pleine valeur de son travail (labor) : « Il est clair que le même principe est à l’oeuvre ici que celui qui régit l’échange des marchandises dans la mesure où il s’agit d’un échange de valeurs égales. … Une quantité donnée de travail sous une forme est échangée contre le même montant dans une autre » [4]. Pour Marx, donc, la forme-valeur va présider à la fois la production et la distribution du stade inférieur du communisme, et ce n’est que dans son stade supérieur « que la société peut traverser complètement l’horizon borné du droit bourgeois et inscrire sur son drapeau : De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ! » [5]. La communisation, alors, comme l’abolition de la forme-valeur dans tous ses modes, serait précédée par une étape post-capitaliste dans laquelle la loi de la valeur régule toujours la production et la consommation. Aussi radicale qu’ait été, aux yeux de la plupart des socialistes, la vision de Marx en 1875, aujourd’hui, dans un monde capitaliste où la reproduction du prolétariat est maintenant menacée par le rapport social capitaliste, et l’existence même de la forme-valeur, une telle vision est tout à fait inadéquate.
Alors que Marx n’a pas précisé la forme dans laquelle le temps de travail permettrait de déterminer la production et la distribution du stade inférieur du capitalisme, la vague révolutionnaire qui s’est déclenchée en 1917 a conduit les bolcheviks à insister sur le fait que la dictature du prolétariat, quelle que soit ses formes politiques spécifiques, sera également fondée sur la poursuite du travail salarié ; que la distribution des produits de la classe ouvrière s’effectuerait par l’intermédiaire du salaire et de l’argent. C’est ici que s’élève un débat au sein de la gauche communiste historique, différent des débats sur la question du parti ou des conseils ouvriers comme organe de la dictature du prolétariat, un débat dans lequel Amadeo Bordiga a insisté sur le fait – contre Lénine et Trotsky – que le maintien des salaires et de l’argent était une menace mortelle pour le prolétariat, et reproduirait les rapports sociaux capitalistes. Deux documents importants de l’histoire de la gauche communiste durant la période 1930-1970 se sont penchés sur la question de la forme valeur, de la production et de la distribution communiste : Les Principes Fondamentaux de la production et la distribution communiste, un texte collectif du GIK (la gauche germano- hollandaise), publié en 1930, avec une importante ’Introduction’ par Paul Mattick lors de sa réédition en 1970, et le texte de Jacques Camatte Capital et Communauté, écrit au lendemain de 68, dans l’orbite politique de la gauche italienne (bordiguisme) [6].
Les Principes Fondamentaux... ont avancé l’idée que la production et la distribution communiste serait basées sur une mesure du temps de travail (le temps de travail moyen socialement nécessaire), avec la distribution de produits pour les travailleurs – dont la condition prolétarienne serait universalisée – qui aura lieu à travers un système de ’bons de travail’ (Empfangsscheinen), strictement sur la base du nombre d’heures travaillées. A l’opposé du fonctionnement normal du système capitaliste, où le marché alloue le travail (labor) et détermine la valeur à travers l’échange post festum, dans la production et la distribution communiste cette détermination pourrait être rationnellement déterminée par le temps de travail comme une mesure de la valeur sans l’intermédiaire de l’échange. Il s’agissait d’un système, comme Mattick l’a reconnu dans son Introduction, dans lequel « le principe de l’échange d’équivalents prévaut encore » [7] dans lequel la forme-valeur façonne encore l’être social et dans lequel, comme Marx le reconnaît dans sa Critique du programme de Gotha, « le droit égal souffre encore toujours d’une limitation bourgeoise » [8], et le travail lui-même (labor) reste le travail du prolétariat. Mattick, cependant, a également constaté que le texte de la GIK est dépassé à certains égards, dépassé par la trajectoire du capital lui-même, par le développement prodigieux des forces productives entre 1930 et 1970, grâce auquel les marchandises et les services pourraient être produits en abondance telle que « tout calcul de leurs parts individuelles du temps de travail moyen socialement nécessaire serait superflu » [9], et que donc l’humanité pourrait passer directement à ce que Marx a appelé le stade supérieur du communisme [10].
Camatte suit Marx dans la distinction d’un stade inférieur, et d’un stade supérieur du communisme, et insiste sur le fait que le « communisme ne peut pas être atteint d’un jour à l’autre » [11] une position basée sur l’affirmation de Bordiga selon laquelle il y a trois stades post-capitalistes : la dictature du prolétariat, le stade du socialisme et le communisme. Pour Camatte, la valorisation de la valeur doit cesser immédiatement, et ce serait la tâche de la dictature du prolétariat, mais il reconnaît cependant que tout le monde doit travailler (« celui qui ne travaille pas, ne mange pas »), que la condition prolétarienne doit être universalisée, que l’existence humaine, qui, dans le capitalisme a été médiée par le capital, « est maintenant médiée par le travail (labor) » [12]. De plus, Camatte reconnaît qu’une « économie du temps » continuera de réguler ce qui est devenu la production commune ; que tout travail (labor) sera maintenant réduit au travail abstrait [13], et que ce travail va conserver la forme du travail salarié sous la dictature du prolétariat, bien que « …la base du phénomène n’est pas la même. Dans la société capitaliste, le travail salarié est un moyen d’éviter de restituer la totalité du produit à l’individu qui l’a produit. Dans la phase de transition, le travail salarié est le résultat du fait que ce n’est pas possible de détruire l’économie de marché d’un jour à l’autre. » [14]. Dans le stade inférieur du socialisme, le caractère de marchandise du travail est effacé, et la part du travailleur de la richesse créée par sa main-d’oeuvre est distribuée sous forme de bons de travail basés sur le temps de travail consacré par le travailleur, par le travail abstrait, mesuré en temps de travail moyen socialement nécessaire.
A ce stade, comme l’explique Camatte, « …nous avons encore à traiter avec des valeurs et le temps de travail va toujours définir ces valeurs. Mais puisque le but n’est plus d’augmenter le temps de travail, cela signifie que le temps de travail n’a plus besoin d’apparaître sous le voile de la valeur afin d’assumer sa fonction sociale ; il affirme son rôle immédiatement » [15]. Mais la suppression du voile traditionnel capitaliste n’élimine pas la forme-valeur, ou la soumission de l’humanité aux lois de son mouvement. En effet, la réduction même de tout travail au travail abstrait, l’universalisation même de la condition prolétarienne et de ses modes de travail (labor), risque de perpétuer le capital et ses relations sociales. En outre, cette perspective n’est pas éliminée par l’insistance de Camatte sur le fait que les bons de travail que le travailleur va échanger contre des biens et services ne sont pas cumulables, sont « valables pour une période limitée et sont perdus à la fin de cette période, s’ils ne sont pas consommés » [16], empêchant ainsi une restauration du capitalisme. La question n’est pas celle de la restauration du capitalisme, mais plutôt celle de la perpétuation de son existence à travers celle de la valeur déterminée par le temps de travail, et le travail abstrait, sur les bases desquels le capitalisme n’a jamais été aboli. Pour Camatte, c’est seulement au stade supérieur du communisme de Marx que : « Toutes les formes de valeur sont alors enterrés ; ainsi le travail n’a désormais plus une forme déterminée [le travail abstrait ??], il n’y a pas d’aliénation » [17].
La question soulevée par la théorie de la communisation telle qu’elle s’est développée au cours des dernières décennies est de savoir si l’imaginaire social d’une période de transition, des stades inférieurs et supérieurs du communisme, n’est pas devenue – à ce stade historique du capitalisme – un obstacle de plus à la révolution communiste, à la communisation [18].
La théorie de la communisation, telle qu’elle a été formulée par les pro-révolutionnaires au cours des dernières décennies peut peut-être être résumée dans les termes suivants, comme dans un essai écrit par Bruno Astarian :
« La communisation ne veut pas dire que le communisme sera mis en place par un coup de baguette magique. Il sera établi par un processus de lutte, avec des avancées et des retraites par la révolution. Cela signifie que les actions menées par les révolutionnaires viseront à l’abolition du travail (labor) et de la valeur … ici et maintenant. Lorsque la révolution attaque la propriété, elle ne le fait pas dans le but de conférer au prolétariat le privilège de la propriété qu’il n’avait pas auparavant, mais dans le but de mettre un terme à tous les formes de propriété immédiatement » [19]
En bref, la forme-valeur, et le travail (labor( qui lui sont liés, doivent être abolis par la révolution, non pas comme l’aboutissement d’une période de transition, comme la gauche communiste historique l’avait maintenu. En outre, alors que la communisation est le but immédiat de la révolution, Astarian souligne que : « Nous ne devons pas confondre l’immédiateté avec l’instantanéité. Quand nous disons l’immédiateté du communisme, nous disons que l’objectif de la révolution prolétarienne ne consiste plus dans la création d’une société de transition, mais dans le fait d’établir directement le communisme » [20].
Pour Perspective Internationaliste, ce qui est crucial ici, ce n’est pas le contenu précis de l’oeuvre (travail, work) ou activité qui doit être immédiatement transformée, par exemple, la nourriture ou les vêtements, la médecine ou le logement, devront être produites. Ce qui doit immédiatement être aboli, c’est la réduction de cette activité au travail abstrait, et sa mesure par le temps de travail socialement nécessaire, c’est le mode historiquement spécifique dans lequel le travail (labor) a existé dans la société capitaliste [21]. Et cela, bien sûr, implique également la suppression d’un mode de distribution des biens et services par le biais du temps de travail, à travers une forme de salaire [le salariat] ou des bons de travail même. C’est dans le cours même d’un bouleversement révolutionnaire, donc, et non à la fin d’une période de transition, que la communisation se produit. Comme Roland Simon insiste, dans SIC n°1 : « La révolution est la communisation, elle n’a pas le communisme comme projet et comme résultat, mais comme son contenu même » [22].
En effet, dans la révolution elle-même, la suppression, non seulement du capital et du travail (labor), mais aussi du prolétariat doit se produire. C’est ainsi que BL l’exprime dans SIC n°1 : « Dans cette lutte, la saisie des moyens matériels de la production ne peut pas être séparée de la transformation des prolétaires en individus immédiatement sociaux : c’est une seule et même activité, et cette identité est provoquée par la forme actuelle de la contradiction entre le prolétariat et le capital » [23]. Ce n’est pas, alors, une variante de la pensée utopique qui a conduit Perspective Internationaliste à voir la communisation comme partie intégrante de la tourmente révolutionnaire elle-même, mais plutôt la logique même du capital, sa trajectoire historique spécifique, et la nature de la crise capitaliste dans la conjoncture historique actuelle : l’impossibilité de la reproduction de la condition prolétarienne par le capital en dehors de l’expulsion massive de main-d’oeuvre prolétarienne de l’économie, la création d’une vaste planète des bidonvilles, et l’imminence des catastrophes écologiques, des phénomènes liés à la perpétuation de la forme-valeur. Ce sont ces mêmes conditions historiques et matérielles très réelles, qui ont fait de la communisation la tâche immédiate de la révolution aujourd’hui.
Mais qu’est-ce de l’abolition du travail (labor), qui fait partie intégrante de la plupart des théories de la communisation ? L’activité humaine, comme travail prolétarien, le travail en tant que travail abstrait, le travail tel qu’il a été historiquement développé et instancié par le capitalisme, doit être aboli. Le travail (labor) sous sa forme historique de travail salarié, et les rapports sociaux capitalistes dans lesquels la production et la distribution sont basées sur le temps de travail moyen socialement nécessaire, sous toutes ses formes, doivent être immédiatement abolis. Mais l’anti-travail (labor) doit être accompagné par une vision de l’activité humaine, la praxis, qui englobe le domaine de la production, libéré de son tégument historique (y compris capitaliste). Ce texte n’est pas le lieu où commencer une élaboration de cette tâche énorme, mais ses grandes lignes doivent au moins être esquissées. La communisation n’est pas l’arrêt de la production. Que du contraire ! C’est le début de l’auto-production d’êtres humains, l’auto-production de rapports sociaux communistes. L’action humaine ne s’est pas limitée au travail (labor), sous la contrainte des relations d’exploitation et de classe. Il y a donc une distinction, entre la techné, poiesis, et l’oeuvre (work), d’un côté, et le travail (labor) de l’autre ; entre le travail de l’esclave, du serf, du prolétaire, d’un côté, et l’oeuvre (work) de l’individu social (labor). Ce n’est pas une simple distinction terminologique ou linguistique, mais plutôt un des modes historiquement distincts de l’action humaine, les modes qualitativement différents du métabolisme entre l’homme et la nature. Le travail (Labor) n’est, alors, qu’une forme spécifique de ce « métabolisme ». C’est précisément cet ensemble de distinctions, entre le travail (labor) et le travail (work), et les possibilités qui seront créées par la communisation que les pro-révolutionnaires ont besoin de commencer à explorer : la production, l’œuvre (work), au-delà du travail (labor). Certains communisateurs, comme Bruno Astarian, ont commencé à examiner la complexité des questions impliquées : " Le communisme connaitra la production, mais ne connaitra pas le travail (labor) " [24]. Si la communisation ne doit pas être considérée simplement comme une version de "Woodstock" sur une grande échelle, alors les implications de la proposition d’Astarian selon laquelle il y aura « production sans productivité » doivent être élaborées [25]. La « productivité » est intimement liée au travail abstrait qui produit de la valeur, tandis que la « production » et ses objectivations satisfont les besoins humains, corporels, communaux, intellectuels et créatifs. Elle implique, à mon avis, au moins comme point de départ, que l’aliénation [Entfremdung] ne se confonde pas avec l’objectivation, une position qui a son fondement dans une certaine lecture de Hegel, qui continue à façonner la vision de l’aliénation du jeune Marx. Objectivations, il y aura, mais des objectivations non subsumées par la forme-valeur.
La communisation implique une révolution, dans laquelle l’abolition du travail (labor) et du prolétariat comme sujet du travail, se produira en tant que partie intégrante de la tourmente révolutionnaire elle-même. Cependant, dans certains milieux qui font partie du courant des communisateurs, une position qui rappelle le déterminisme du marxisme traditionnel a surgi, une position dans laquelle le rôle primordial de la conscience dans la communisation semble être ignoré. Ainsi, dans le texte de Peter Astrom « Crise et communisation » dans SIC n°1, le scénario d’un soulèvement révolutionnaire attenant à une crise capitaliste dévastatrice, comme la crise actuelle, stipule que la crise va obliger le prolétariat de détruire « ...toutes les conditions qui sans cesse recréent le prolétariat en tant que classe. En fin de compte, le prolétariat ne peut repousser le capital qu’en se niant lui-même comme classe créant la valeur et en même temps - dans un seul et même processus – en produisant des vies entièrement nouvelles qui sont incompatibles avec la reproduction du capital » [26]. Le fait de ne pas parler de la conscience ici, ni des bases mêmes de son développement, peut faire croire que la réponse du prolétariat à une telle crise est instinctive, automatique et simplement déterminée par la profondeur de la crise elle-même, une réponse qui est inévitable. L’absence de toute discussion sur la conscience et l’idée de l’inévitabilité d’une réponse prolétarienne à la crise, me rappellent la confiance absolue de l’Histomat dans le fait que la révolution et la destruction du capitalisme ont été déterminées par les lois qui président au processus historique lui-même. Astrom souligne lui-même des discussions au sein de SIC portant sur le fait qu’il a mis un « ...accent trop fort sur le fait que les prolétaires sont contraints d’agir d’une certaine façon » [27]. Que la « logique » du capital, comme une contradiction en mouvement, produise une crise de la reproduction pour le capital et le prolétariat n’est pas en cause ici. Ce qui est en question est un déterminisme implicite par rapport à une réponse prolétarienne, une vision - si elle devait se développer - qui pourrait affaiblir les perspectives aussi bien d’une renaissance du marxisme, que d’un soulèvement révolutionnaire.
En effet, un impératif pour la théorie de la communisation, à mon avis, est de se connecter à la perspective du développement d’une conscience qui peut faire exploser la forme-valeur directement liée aux modes historiquement spécifiques du travail (labor) que le capital a fait naître dans sa phase actuelle. C’est là que réside la possibilité réelle-objective - pour utiliser une notion Blochienne [28] - de la communisation. Pour Ernst Bloch une possibilité objective-réelle n’est pas un vœu pieux, mais plutôt le résultat de conditions matérielles qui ont mûri dans le processus historique lui-même, et qui deviennent manifestes. La possibilité objective-réelle de l’abolition du travail (labor) doit donc être recherchée dans les conditions historiques réelles des processus de travail de la société d’aujourd’hui capitaliste, dans les modes de travail (labor) que le capitalisme moderne a lui-même créés au service de sa compulsion à accumuler.
Mac Intosh
[1] Note de la traduction. En allemand et en anglais, il existe deux mots distincts pour le travail : Arbeit - Labor qui désigne le travail extorqué ou arraché des esclaves, des serfs, et le salariat dans la société capitaliste, i.e. le travail abstrait ; et Werke - Work qui désigne l’oeuvre, l’activité, la production différente du travail extorqué. Pour la traduction française, nous avons choisi d’utiliser systématiquement le mot “travail” pour labor, Arbeit, et nous avons utilisé tantôt oeuvre, tantôt travail pour work, werke. Nous avons généralement indiqué l’équivalent anglais selon l’intention de l’auteur du texte entre parenthèses, afin de lever toute ambiguité.
[2] Marx, “Brouillon d’un article sur le livre de Friedrich List : Das nationale System der politischen Oekonomie”, in : Marx/Engels, Collective Works, Vol. 4 (New York : International Publishers, 1975), pp. 278-279.
[3] Marx, Critique du Programme de Gotha
[4] Ibid
[5] Ibid
[6] Bien que le texte de Camatte soit largement dévolu à la trajectoire de la forme-valeur basée sur une lecture des manuscrits non publiés de Marx (les Grundrisse et les « Résultats de Processus Immédiat de Production »), son chapitre sur le « Communisme et les phases intermédiaires entre le capitalisme et le communisme », comme les Principes Fondamentaux... du GIK, touche à la question de la communisation. L’approche de cette question par Camatte a ses propres bases dans des textes de Mitchell (Jehan) dans la revue Bilan dans les années 30, et tout particulièrement dans des textes de Bordiga depuis la fin des années ’40 jusque dans les années ’60)
[7] Les Principines fondamentaux de la production et de la distribution communiste, Libcom, p 4
[8] Marx, Critique du Programme de Gotha
[9] Les Principes fondamentaux... p 5
[10] La façon dont Mattick dépeint l’abondance semble beaucoup trop optimiste aujourd’hui, tout particulièrement à la lumière de décades de ’développement’ basé largement sur la croissance de capital fictif et sur les bulles financières, alors que la reproduction du prolétariat a été violemment menacée, et que des masses toujours plus importantes de travailleurs sont expulsées de façon permanente du processus de production. Bien que de telles questions soient importantes, elles n’empêchent pas une vision de la révolution dans laquelle la communisation, comprise comme l’abolition de la forme-valeur et du travail prolétarien auquel elle est liée, ne peut-être mise en place avant qu’un stade plus élevé ou l’achèvement d’une période de transition soit advenue.
[11] Jacques Camatte, Capital et Communauté, Prism Key Press, 2011, p. 261
[12] Ibid p. 265
[13] Ibid 272
[14] Ibib p. 266
[15] Ibid p 279
[16] Ibid p. 288
[17] Ibid p. 298-298
[18] Une question qui semble être une diversion, bien qu’elle ait fait couler beaucoup d’encre dans le milieu pro-révolutionnaire, est de savoir QUAND la communisation, opposée à la période de transition, est devenue une possibilité historique pour le prolétariat. La communisation était-elle possible en 1789, en 1848, en 1871, en 1917, en 1936, etc ? La communisation ne s’est pas produite à ce moment là, et bien qu’on puisse discuter du « pourquoi elle ne s’est pas produit », la tâche d’aujourd’hui est de confronter la nécessité historique de la communisation dans la période actuelle, et les dangers auxquels est confronté le travailleur collectif dans le monde capitaliste qui survit à sa crise actuelle.
[19] Bruno Astarian, « Communisation et Activité de Cris » http://www.hicsalta-communisation.com
[20] Ibid
[21] Le travail extorqué à une classe exploitée n’est pas une catégorie trans-historique. Il est apparu dans plusieurs modes historiques spécifiques : le travail de l’esclave ou de la classe des ilotes dans la Grèce ancienne, le travail des serfs dans la société féodale, pour ne prendre que ces deux exemples très différents, de même que le travail abstrait extorqué de la classe ouvrière salariée dans la société capitaliste.
[22] Roland Simon « le Moment Présent » SIC n°1 p 95 http://riff-raff.se/texts/fr/sic1-le-moment-actuel
BL « Le pas suspendu de la communisation » SIC n°1 pp 147-148 http://riff-raff.se/texts/fr/sic1-le-moment-actuel
[23] BL, « Le pas suspendu de la communisation », SIC n°1, pp. 147-148
[24] Bruno Astarian, Le Travail et son Dépassement (édition Senonevero, 2001, pp. 175-176
[25] Ibid, p. 176
[26] Peter Astrom, Crise et Communisation, SIC n°1, p. 35
[27] Ibid, p. 37
[28] Bloch développe cette notion dans son Principe Espérance, Cambridge, MA : The MIT Press, 1986), Volume I, pp. 235-241.