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Rubrique : Luttes

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  • Toutes les versions de cet article :

  • Tunesië, Egypte, ... Voor een aflossing van de wacht zijn de arbeiders aan de beurt! (nl)
  • Túnez, Egipto,... Son los obreros los que toman el relevo! (es)
  • Tunisia, Egypt, … It is up to the workers to take charge! (en)
  • Tunisie, Égypte,... C’est aux ouvriers de prendre la relève !

     

    Ici vous pouvez télécharger un tract de quatre pages sur les événement en Tunisie et en Égypte :

    Diffusez le autour de vous !

     

     

    « Dictateurs, dégagez ! »

     

    L’onde de choc des mouvements populaires qui secoue une série de pays en Afrique du Nord et au Moyen-Orient a produit la fuite de Zine el-Abidine Ben Ali et de son clan mafieux Trabelsi au pouvoir depuis 23 ans et ébranle toujours plus le pouvoir de Mohammed Hosni Moubarak en Égypte, pourtant chef d’État très respecté par la communauté internationale depuis 29 ans.

    D’autres pays comme la Jordanie, le Liban, la Syrie, le Yémen et même l’Arabie Saoudite, l’Algérie, le Soudan, la Libye et le Maroc risquent de grands bouleversements politiques et leurs cliques respectives prennent déjà, dans une tentative de sauver les meubles, des mesures contre la corruption, diminuent certains prix, remplacent des ministres et même des gouvernements entiers...

    Une nouvelle génération, dotée d’un niveau d’instruction ainsi que de moyens de communication modernes, « pacifique quand elle le peut, avec de la violence quand il le faut », a occupé la rue, a battu la police en sacrifiant des centaines de morts, revendique la fin de la misère et de la répression et, surtout, le départ des « dictateurs » avec leurs régimes corrompus.

    Il est apparu quelque chose de nouveau en Tunisie, en Égypte et ailleurs : la jeunesse et la population en général ont perdu la peur de manifester et de la répression : « mieux vaut mourir pour quelque chose que vivre pour rien ». La génération du XXIe siècle semble vouloir mettre fin aux régimes du XXe siècle.

    C’est une situation pleine de contradictions :

    - Jusqu’à maintenant, la classe ouvrière, en tant que telle, semble n’avoir joué qu’un rôle secondaire et tendrait à être dissoute dans « la population » en général [1].

    - En conséquence et malgré un malaise évident, les grandes puissances, surtout les États-Unis et les grands pays européens, arrivent toujours à présenter ces révoltes comme de simples mouvements « démocratiques » portant une perspective à l’image de toutes les « révolutions colorées et de fleurs » que nous avons vues en Europe de l’Est après l’effondrement du Bloc soviétique il y a une vingtaine d’années. Un simple changement de régime allait soi-disant tout améliorer dans une société qui reste néanmoins profondément divisée en classes.

    Au lieu de ne voir que la simple « chasse aux dictateurs », il faut d’abord se rendre compte des véritables défis devant lesquels se trouvent ces populations et la classe ouvrière en premier lieu.

     

    Des mouvements populaires face à la crise économique

     

    Pourquoi le mécontentement et la colère dans ces pays s’expriment dans la rue par des émeutes, des révoltes et des manifestations populaires au lieu de se déployer à partir des endroits où toute la richesse sociale est produite : les usines, les ateliers et les bureaux ?

    D’abord, à cause d’un chômage très élevé et d’une misère presque généralisée qui rendent les grèves difficiles dans un contexte de répression féroce et de syndicats étatiques entièrement dévoués aux intérêts dominants. Ensuite, à cause de la façon dont la crise économique est perçue dans ces pays : la hausse des prix. En effet, sous la pression du FMI et de la banque mondiale, les subventions étatiques pour contenir l’envolée des prix des combustibles et des produits de première nécessité (farine, sucre, l’huile, ...) ont été fortement réduites afin de rendre ces économies « plus compétitives » ; ce qui impliquait une diminution drastique du niveau de vie de toute la population. C’est pourquoi la crise est surtout ressentie comme un problème de prix à la consommation plus que comme une question de bas salaires résultant de l’exploitation sur les lieux de travail.

    La crise économique touche fortement l’Europe et l’Amérique du Nord pendant que ces pays maintiennent encore des taux de croissance économique relativement élevés. Mais ils la subissent également via la spéculation sur les matières premières engendrant des taux d’inflation importants et cela dans le cadre d’économies rentières et de prédations où l’essentiel de la richesse produite est accaparée par une infime minorité à l’arrogance et au luxe ostentatoire qui sont ressentis comme autant d’insultes par l’immense majorité de la population.

     

    Tunisie : la « révolution de la dignité »

     

    Le 17 décembre 2010, Mohammed Bouazizi, un jeune diplômé au chômage et vendeur de fruits et légumes par nécessité se fait confisquer encore une fois sa marchandise par la police car on lui refusait un permis. Il tente de s’immoler par le feu et meurt le 4 janvier. Spontanément, des jeunes sortent dans la rue : contre la hausse des prix, le chômage et le terrible mépris des autorités. Ils réclament le « droit au travail » et des conditions de vie décentes. La révolte s’étend de ville en ville pour finalement se concentrer sur Tunis, le siège du gouvernement.

    Après des semaines de luttes et de rébellions, le 13 janvier 2011, Ben Ali promet la liberté de presse et d’expression politique, il diminue les prix des produits de première nécessité, il promet même de créer 300 000 emplois et de ne plus se porter candidat aux élections de 2014. Mais en même temps, il donne l’ordre au général Rachid Ammar de tirer sur la foule. Quand celui-ci refuse, Ben Ali le destitue. Le général, sans doute « sous recommandation américaine », destitue à son tour Ben Ali le lendemain et l’armée occupe l’aéroport. Rachid Ammar « recommande » et permet à Ben Ali de prendre la fuite en Arabie-Saoudite. Entretemps, la France, complètement déconnectée de la réalité et non informée par les « amis américains », voulait envoyer massivement du matériel de poings et des experts pour rendre la répression du régime Ben Ali un peu moins sanglante.

    Passons sur les différentes péripéties de formation d’un gouvernement, avec les entrées et sorties de toutes sortes « d’oppositionnels ». Un nouveau gouvernement est formé avec des représentants de tous les courants, sauf les staliniens et les islamistes intégristes, et surtout avec comme premier ministre le vieux Mohammed Ghannouchi qui fut depuis 11 ans le premier ministre du clan Trabelsi. Bref, dans six mois se tiendrait des « élections libres et démocratiques » pour que la « population tunisienne » choisisse de nouveaux dirigeants exploiteurs. Peu de choses changeront ... le spectacle de la valse des portefeuilles pour obtenir des petites postes continue et le 5 février la police tire de nouveau dans la foule, tuant plusieurs jeunes.

    Depuis des décennies, les grandes puissances ont pris prétexte de « la stabilité dans la région » pour soutenir des dictatures qu’elles ont légitimées dans leur lutte contre « l’islamisme intégriste » [2]. Ces mêmes grandes puissances ont également profité de la répression de ces dictatures qui leur garantissaient une force de travail soumise, flexible et à très bas prix pour leurs affaires.

    L’administration américaines a estimé que le degré de corruption de l’État tunisien et la gourmandise du clan Trabelsi devenaient gênants (cf. les rapports des ambassadeurs divulgués par WikiLeaks) ; et, face à la colère populaire qui risquait de contaminer d’autres pays, elle a poussé au départ de Ben Ali.

     

    Egypte : « Nous ne partirons pas, c’est lui qui part ! »

     

    Le 25 janvier, « le jour de la colère », des protestations commencent au Caire et dans d’autres villes égyptiennes (surtout Alexandrie et Suez), clairement inspirées par les événements en Tunisie d’y il a quelques semaines : des drapeaux tunisiens étaient portés dans les manifestations pour avertir Moubarak de ce qui pourrait lui arriver [3].

    Les protestations reprennent les slogans du mouvement populaire en Tunisie : contre la répression, la brutalité de la police, l’état d’urgence permanent, le manque de liberté d’expression et la corruption. Mais derrière ces revendications, il y a également la même révolte qu’en Tunisie contre le chômage, la hausse des prix, le logement insalubre, et les salaires particulièrement bas. Dès le début, toutes ces revendications sont résumées en un seul slogan : « Moubarak, dégage ! ».

    Face à une répression très violente, les protestations ne pouvaient prendre d’autre forme que celle de la contre-violence. Il y a des affrontements entre manifestants et « forces de l’ordre » au Caire et à Suez, et la police n’hésite pas à tirer sur la foule. Les manifestants dans plusieurs villes incendient en retour des bureaux de police. Des manifestants à Suez et dans la région du Sinaï commencent à s’armer. Il y a des arrestations massives [4].

    Le vendredi 28 janvier les premiers ralliements de masse se développent au Caire, à Suez, Beni Suef, Mansoura, Manufiya et ailleurs. Le régime essaye de couper toutes les communications : la télévision Al Jazeera, internet et les réseaux téléphoniques. Le soir au Caire, les manifestants mettent le feu au siège du NDP, le parti de Moubarak, et à d’autres bâtiments du régime [5]. La police avec ses gaz lacrymogènes, ses balles en caoutchouc et ses canons à eau ne suffisent plus. L’armée est engagée, mais le couvre-feu qui est ordonné est ignoré par les manifestants. On compte déjà 105 morts [6]. Un million de touristes commence à être évacué du pays.

    Incapable de gérer la situation autrement qu’en organisant un carnage via ses « Forces Spéciales de Sécurité », le régime décide temporairement de retirer toutes ses « forces de l’ordre ». Des pillages massifs et une insécurité généralisée en découlera afin de « déstabiliser » le pays pour justifier le dernier slogan de tout oppresseur : « soit nous, soit le chaos ! » [7].

    Mais la population ne se retourne pas contre les manifestants. Au lieu de céder à ce chantage proposant une « protection » contre un « bakchich », des « comités de quartier » (une sorte de garde civile) sont mis sur pieds [8].

    Beaucoup d’usines ferment, pas seulement pour éviter que les ouvriers en prennent l’initiative mais parce que ces dernier restent surtout à la maison pour défendre leurs familles et leurs biens contre des pilleurs.

    Ce même 28 janvier, Moubarak procède à la manœuvre traditionnellement utilisée par tous les régimes dictatoriaux : d’un coté, il dissout son gouvernement pour tenter de calmer la colère, alors qu’en même temps il nomme Omar Suleiman, l’ancien chef du « Service de Renseignement Général de l’Égypte » (la police secrète) en tant que vice-président (un poste qui n’existait pas auparavant). De plus, il invite un militaire, Ahmed Shafik, à former un nouveau gouvernement. Finalement, il annonce ne plus postuler de nouveau mandat en tant que président pour les élections de septembre 2011.

    L’armée remplace les « Forces Spéciales de Sécurité ». Les soldats, eux-mêmes surtout recrutés dans la classe ouvrière, sont moins enclins à tirer dans les foules et leurs supérieurs le savent. Ce sont donc les « forces pro-Moubarak » qui vont tenter de reprendre la situation en main. Elles sont composées de petits boutiquiers enragés parce que, pendant plus d’une semaine, leurs « commerces » ne marchaient plus très bien et parce qu’ils risquaient de voir leurs boutiques pillées. Mais elles se composent aussi d’hommes de main recrutés dans les bidonvilles et parmi les déshérités prêts à se vendre au plus offrant pour « nettoyer » la Place de la Liberté. Enfin, le tout est encadré par les flics de Moubarak, déguisés en civils, qui donnent des instructions pour organiser et déchainer la violence.

    Le 1 février est la journée baptisée « marche des millions » ; la plus grande de toutes les manifestations [9]. Deux nuits d’extrême violence s’en suivent, avec beaucoup de morts, et l’armée est finalement obligée de pointer les fusils vers ceux qui ont provoqué la violence : les « forces pro-Moubarak » qui vont disparaître de la rue. L’apothéose, prévue pour le 4 février, baptisé le « vendredi du départ » du dictateur, s’est néanmoins montrée un échec : malgré une manifestation énorme, Moubarak colle à son siège. Pourquoi ?

    L’extorqueur tunisien Ben Ali, président d’un petit pays non-stratégique, était remplaçable pour les États-Unis. Mais ils leur est beaucoup plus difficile de se défaire de Moubarak, stratège et pilier de la « stabilité américaine » dans la région. Barack Obama, tout en disant que c’était « aux égyptiens de décider », devait lui offrir au moins « une sortie honorable » [10]. Que Moubarak s’en aille, et toute la politique extérieure des États-Unis ris­querait de perdre sa crédibilité, même beaucoup plus que si Moubarak restait [11]. Et tous les dirigeants de la planète voulaient aussi et surtout réaffirmer face à tous les manifestants des autres pays que « ce n’est pas la rue qui décide », y compris aussi en dehors du « monde arabe ».

    Le dimanche 6 février 2011 Moubarak apparait à nouveau à la télévision étatique égyptienne à la tête de son gouvernement [12]. Pour lui, c’est finalement l’heure définitive du « retour à la normale ». Très révélateur ce matin là, ce sont la Bourse du Caire et les banques de commerce qui sont les premières à ouvrir leurs portes durant quelques heures. Pendant que les manifestants de la Place de la Liberté commémorent ce jour-là leurs martyrs, toutes les « forces oppositionnelles » commencent aussi, bien dans le dos des manifestants, à négocier avec, il est vrai, le vice-président du régime, mais aussi, bien télévisé, sous un portrait énorme de Moubarak.

    Tous ces gens de l’ancien régime, qui ont tourné leur veste pour devenir tout d’un coup des grands démocrates, donnent aux manifestants une première leçon : les démocraties peuvent faire quelque chose qu’aucun dictateur ne peut se permettre : ignorer les protestations civiles. L’armée égyptienne avait commencé à réduire l’espace réservé aux manifestants et Le Caire semblait reprendre sa vie « normale ».

    Le mardi 8 février 2011 Suleiman déclare qu’il n’y aura pas de représailles contre les manifestants, ce qui est peu crédible tant que lui-même et ses flics-assassins sont toujours en liberté.

    Mais la même journée, quand les ouvriers commencent le travail, une grève générale est annoncée. Le régime augmente tout de suite de 15% les salaires dans le secteur public ainsi que les pensions. On veux bien ! Mais c’est de nouveau un coup trop peu et trop tard car l’inflation en Égypte atteint déjà 18%. Et les manifestations continuent avec encore plus de vigueur...

     

    L’auto-organisation des ouvriers pour obtenir un autre monde

     

    Nous sommes de tout cœur avec les manifestants tant qu’ils crient « Dictateurs dégagez ! » car, derrière les dictateurs, il y a leurs régimes corrompus et la répression. Et, derrière ces régimes, il y a les grandes puissances qui ont toujours soutenu ces mêmes dictateurs, tout en se vantant être des « défenseurs de la liberté, de la démocratie et des droits humains ». Nous sommes aussi avec ces manifestants parce qu’ils n’ont pas permis aux formations politiques dites d’opposition de prendre la tête et de leur « voler » le mouvement [13]. Les manifestants n’ont rien de bien à attendre de cette « opposition » dont les membres font la queue pour obtenir un petit poste dans le régime dès que l’occasion se présente.

    Ce qui inquiète « les grandes puissances », c’est l’absence de forces oppositionnelles crédibles, résultat de décennies de répression à l’encontre de toute forme d’opposition. Les grandes puissances craignent le « vide du pouvoir » et ils ne se débarrassent pas facilement des dictateurs tant qu’elles n’ont pas trouvé l’alternative qui leurs convient.

    Les manifestants du Caire ont bien compris qu’on ne peut pas faire confiance à une armée qui reste sous le commandement de l’État ; même si beaucoup de soldats, en contraste avec la plupart de leurs supérieurs, avaient une certaine sympathie envers les manifestants, ils n’ont pas fraternisé avec eux pour rejoindre le combat [14].

    Par contre, dangereuses ont été les expressions du « patriotisme ». Moubarak lui-même a, sans le moindre doute, toujours été un « patriote » exemplaire. Pareil pour l’hymne national égyptien chanté par des manifestants sous les mêmes drapeaux nationaux qui ont toujours été utilisés pour monter les ouvriers et ouvrières les uns contre les autres dans les multiples guerres [15].

    Fausse sera l’idée que ce serait uniquement une question propre à « la population égyptienne » ; ce n’est pas non plus exclusivement une « question arabe » ; c’est fondamentalement une question du prolétariat mondial qui sera contraint de s’unir internationalement pour être capable de vivre dignement [16].

    Ce mouvement à pu dépasser les divisions religieuses : musulmans, chrétiens et laïques ont manifesté pacifiquement et ensemble contre le régime. Mais les prières dominaient beaucoup d’événements sur la Place de la Liberté, cachant la différence nettement plus fondamentale entre les classes sociales. Obama aussi, devant les caméras destinées à une audience interne aux États-Unis, à fait ses « prières pour le bon aboutissement pacifique des événements », et surtout pour que la situation n’échappe pas à son contrôle.

    Fausse aussi serait l’idée que ce mouvement populaire serait une « révolution » : la société reste profondément divisée en classes sociales, la misère et l’exploitation persistent ; et quand la police frappera, peut-être, un peu moins fort la prochaine fois, la répression pour défendre les intérêts des exploiteurs, elle, ne s’arrêtera pas.

    Finalement, les « mouvements populaires » n’ont pas d’autres perspectives que d’accepter le remplacement d’une clique dirigeante par une autre, même si un nouveau régime sera averti qu’il y a des limites à la misère et à la répression que la population acceptera de supporter.

    Comme il n’y a aucune organisation d’un contre-pouvoir réel, ce sont inévitablement les « forces de l’ordre » étatique, au service des grandes puissances, qui décident.

    Cela veut dire que, tant que les ouvriers ne s’affirment pas dans des grèves, avec des revendications orientées vers l’extension et l’unification des luttes, des assemblées générales, des comités de grèves et des conseils ouvriers qui peuvent donner une toute autre orientation à la société dans son ensemble, il n’y aura guère d’autre espoir qu’un changement de clique à la tête de l’État. Une telle perspective vers le développement d’un puissant mouvement ouvrier sera certainement moins spectaculaire que le mouvement populaire actuel en Égypte, mais elle contiendra aussi d’autres promesses.

    Entre-temps, la bourgeoisie internationale ne peut pas trop se réjouir qu’il n’y pas encore eu énormément de contestations ouvrières dans les pays des grandes puissances capitalistes car les choses n’en resteront pas en l’état. La crise économique nous contraindra tous à réagir.

     

    8 février 2011, Controverses

     

    Publié par Controverses, Forum pour la Gauche communiste internationaliste

     

    [1Nous manquons toujours d’informations. Il a été rapporté par exemple, sans trop de détails, qu’au début du mouvement en Égypte, dans une usine dans le sud du Caire, les ouvriers avaient chassé leur direction corrompue. Il y aurait eu beaucoup de grèves ailleurs. N’oublions pas non plus qu’il y a eu d’importantes grèves ces derniers années en Égypte.

    [2Pour rappel : l’islamisme intégriste fut l’allié des États-Unis pour contrecarrer l’influence du bloc soviétique, surtout en Afghanistan, base actuelle d’Al Quaida. Par contre, en Algérie en 1991 le FIS islamiste avait gagné les « élections démocratiques », ce qui provoquait un coup d’État militaire soutenu par les États-Unis. Quand l’ayatollah Ali Khamenei d’Iran bénissait le 5 février 2011 la « révolution islamique en Égypte », cette caractérisation était formellement rejetée le lendemain pas les Frères musulmans égyptiens, pour qui il s’agirait d’une « révolution du peuple et non pas une révolution religieuse ». Contrairement aux prétextes américains, ils n’ont que très peu à faire avec Al Quaida où le régime en Iran. Quand ils défendent l’introduction de la Sharia, la loi sacrée de l’islam du Moyen-Âge, ils ne sont pas encore connus pour leurs lapidations des femmes adultères. Et c’est bien le soutien des grandes puissances à Nasser, Sadat et Moubarak qui les a rendus populaires en Égypte. Le mouvement populaire en Égypte est pour l’instant le plus flagrante dénégation d’Al Quaida et tous les autres terroristes.

    [3L’appel est fait par le « Mouvement des Jeunes du 6 avril », un réseau actif sur Facebook et Twitter, avec des dizaines de milliers de participants, pour la plupart des jeunes qualifiés sans aucun passé politique. La date choisie était celle d’une fête nationale de la police ! Ce réseau s’est constitué au printemps 2008 en soutien aux ouvriers de El-Mahalla El-Kubra, une ville industrielle qui préparait une grève. Ce groupe rejette la qualification d’« organisation politique ».

    [4Entretemps, soutenu par les Frères musulmans, Mohamed Al Baradei (prix Nobel de la paix) retourne en Égypte le 28 janvier ; il se propose très modestement lui-même en tant que nouveau chef d’État, ce qui est fortement contesté par le plupart des manifestants qui refusent de s’allier à l’une ou l’autre des « forces oppositionnelles ».

    [5Trois jour plus tard, le 31 janvier, le NDP de Moubarak est exclu de l’Internationale socialiste. Quelle solidarité avec un parti frère sous attaque !

    [6Ce jour-là, l’armée a aussi été déployée pour protéger le célèbre musée national et ces ‘horribles’ manifestants ont rejoint les soldats pour faire face au vandalisme.

    [7Les pilleurs se recrutent d’abord parmi les plus pauvres, c’est-à-dire ceux qui revendiquent leur « droit de manger » en s’attaquant aux petits commerces où les prix augmentent, mais ils se composent aussi de criminels (miraculeusement « échappés de prison » et autres) et de flics appointés par le pouvoir. Ces derniers furent démasqués comme étant les véritables criminels créant et organisant le chaos dont le président avait besoin pour justifier une répression sanglante.

    [8Ces « comités de quartier » sont constitués souvent de prolétaires qui se défendent contre l’insécurité généralisée. Mais ce sont aussi des petits commerçants qui défendent le peu qu’ils ont contre ceux qui n’ont rien.

    [9Les « deux millions » annoncés par Al Jazeera pour ce seul jour sur la Place de la Liberté étaient largement exagérés. Mais si on compte l’ensemble des participants dans toutes les manifestations du pays il y a sans doute eu plusieurs millions de participants.

    [10L’envoyé spécial d’Obama en Égypte, Frank Wisner, après une rencontre avec Moubarak, déclarait le 5 février devant la télévision que Moubarak était « crucial pour une transition ordonnée » ; Wisner à été désavoué par une Maison Blanche très gênée parce que ce bavard l’avait dit en public. Un jour avant, les hyper-fidèles alliés des États-Unis, Silvio Berlusconi d’Italie et Mark Rutten des Pays-Bas, deux autres bavards, déclaraient la même chose pendant le sommet européen à Bruxelles. Plus besoin de WikiLeaks pour comprendre les secrets d’État ! Trahir « l’ami » Moubarak pourrait avoir des répercussions assez désastreuses sur tous les autres fidèles « amis des États-Unis » dans la région. Parfois les grandes et petites puissances oublient un ancien proverbe : « Nous n’avons pas d’amis ; nous n’avons que des intérêts ! ».

    [11Hillary Clinton se sentait obligée le 6 février 2011 de préciser que « nos amis » dans cette région étaient « les gouvernements ET les peuples », bien sûr dans cet ordre là. Deux jours plus tard elle confirme ouvertement que l’Égypte auraient besoin de Moubarak pour la « transformation vers la démocratie », pendant que « son ami », l’assassin Suleiman déclare que l’Égypte « n’est pas encore prêt pour la démocratie ».

    [12Le lendemain, il a même été annoncé une révolte du très « respectable » personnel de la télévision étatique égyptienne qui essaye d’échapper à la honte d’avoir travaillé là.

    [13On note que les manifestants n’ont eu aucun porte-parole, mais qu’ils sont très bien organisés avec un comité de sécurité, un comité d’approvisionnement, un comité médical, etc., tout ça en dehors de la Place de la Liberté, et bien sécurisés.

    [14Depuis début février des manifestants restaient assis devant et derrière les chars, même entre les roues, par crainte de voir les militaires partir, pour ensuite être livrés à nouveau à la rage des pro-Mouburak et surtout de la police secrète. Entretemps, souvent au risque de leurs vies, les manifestants ont fait tout ce qui était possible pour fraterniser avec les soldats.

    [15Autres exemples de ce patriotisme : des portraits de Moubarak barbouillés d’une étoile de David, qui témoignent d’un très mauvais goût ; néanmoins ils étaient tolérés dans des manifestations ; pareil pour la présence de portraits des ex-dictateurs Nasser et Sadat.

    [16Il est déjà difficile, par exemple, de voir comment toutes les masses de « clandestins » en Égypte, pourtant extrêmement défavorisées, pourraient s’intégrer dans ce mouvement patriotique « égyptien ».